Addi Bâ Mamadou
Devant sa maison,
à Tollaincourt,
vers 1941-42.

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ADDI BÂ, LE RÉCIT D'UNE VIE

I. L'arrivée d'un jeune
Guinéen en France
>

II. Les tirailleurs errants
du canton de Lamarche >

III. La vie secrète
d'un paisible commis agricole
de Tolliancourt...>

IV. Addi Bâ au maquis >

V. Les difficiles sentiers
de la gloire... >


 



V. Les difficiles sentiers
de la gloire

Plus de 60 ans après son exécution, le souvenir d'Addi Bâ, aussi fragile fut-il, est toujours présent. Retour sur un long, très long travail de mémoire...

« Lorsqu'Addi Bâ a été arrêté, Papa est descendu vers le centre du village après que les Allemands ont été partis. Il a rencontré le maire, Louis Dormois, à mi-côte qui pleurait. « Qu’est-ce qui est arrivé, Nonon Lysée ? Qu’est-ce qui est arrivé, Nonon Lysée ? » C’était un homme très gros, très fort, qui marchait les mains derrière le dos et qui avait beaucoup de mal à monter la côte. Il avait été gazé pendant la Première guerre. Alors, ils se sont concertés – Papa était adjoint. Qu’est-ce qu’on fait ? Rien. On la ferme, on essaye d’apaiser tout le monde. Le mot d’ordre était : rentrons chez nous et ne disons rien. On n’a rien vu. » (1) Addi Bâ, on l'a vu, n'a pas pour autant été abandonné par les habitants de Tollaincourt durant sa captivité à Épinal, mais, comme le suggère Berthe Laurent, chacun s'est replié sur son souvenir. « On parlait de lui encore hier », m'ont lancé les sœurs Aubert, le jour où je suis venu les interviewer. À La Vacheresse-La Rouillie, par exemple, Jean Calba, ancien « passeur » du maquis, âgé alors de 16 ans, s'endort tous les soirs sous un portrait en pied d'Addi Bâ (celui au sabre, qui figure dans la galerie photo). J'ai été frappé par la remarque quasi unanime de tous les gens que j'ai pu interviewer : s'il avait survécu, avec son charisme, il aurait fait de la politique et aurait sans doute été élu maire ou député...

Addi Bâ est donc rentré dans l'histoire intime des Vosges, comme un grand frère, un cousin, un grand-oncle. Mais quid de l'histoire officielle ? Un ancien de l'époque (peut-être un peu mauvaise langue...) considère qu'à la Libération, « les anciens résistants étaient bien trop occupés à entretenir leur propre gloire pour se soucier du souvenir d'un obscur tirailleur.» Il est vrai également que le massacre de Thiaroye, survenu en 1944 au Sénégal, suite à une révolte d'anciens tirailleurs rapatriés qui ne faisaient que réclamer leur solde et la reconnaissance de leurs droits, a coupé court à toute forme d'hommage officiel de la France à l'égard des soldats d'Afrique. En témoigne la lamentable affaire de la « cristallisation » des pensions d'anciens combattants, qui n'a trouvé d'issue (partielle) qu'en 2005.

Le nom d'Addi Bâ apparaît semble-t-il pour la première fois dans la littérature spécialisée en 1974, dans un ouvrage de Gilbert Grandval, commandant en chef des FFI de l'Est puis plusieurs fois ministre sous Pompidou. Georges Froitier, l'ancien instituteur et camarade de Marcel Arburger, l'évoque aussi dans son Odyssée d'un couple de résistants vosgiens, paru à compte d'auteur en 1984. C'est seulement à la fin des années 1980, lorsque le colonel Rives enquête à Langeais, dans les Vosges et aux archives militaires de Vincennes que l'histoire d'Addi Bâ commence à susciter un peu d'intérêt dans les cercles initiés. Il faut saluer le remarquable travail mené par Maurice Rives, qui a su remonter aux sources, réunir les documents, les photos, recueillir des témoignages, souvent écrits. C'est sur ses suggestions que la ville de Langeais a décidé de donner le nom d'Addi Bâ à l'une de ses rues, le 11 novembre 1991. Ce jour-là, les édiles locaux se sont tournés vers la Mecque, en signe d'hommage au musulman Mamadou Hady Bah. C'est du moins ce que rapporte l'article de L'Événement du jeudi, paru la même semaine : deux pleines pages retraçant par le menu l'histoire d'Addi Bâ. Deux ans plus tard, Maurice Rives et Robert Dietrich publiaient leur ouvrage en mémoire des Tirailleurs. (voir bibliographie)

À la fin des années 1990, c'est Hubert Mathieu, agriculteur à la retraite de Sandaucourt qui a décidé de se saisir du dossier Addi Bâ. Ancien du maquis, il s'était toujours indigné de l'absence de reconnaissance officielle de la part des autorités françaises. « Marcel Arburger s'est vu légitimement décerner après-Guerre, à titre posthume, la Croix de Guerre, la Légion d’Honneur et la Médaille militaire. Pourquoi Addi Bâ a-t-il été oublié alors que tous les grands responsables de la Résistance savaient ce qu'il avait fait et dans quelles circonstances il est mort ? » Pendant près de cinq ans, le vieil homme a fait le siège des administrations concernées, harcelé les ministères, réuni des pièces justificatives, monté des dossiers, ferraillé sur des détails bureaucratiques : « Ba » ou « Bah » ? Né en 1911 ou en 1913 ? Par l'intermédiaire de la fille d'un résistant local, résidant en Côte-d'Ivoire, il a pu retrouver la trace de la famille d'Addi Bâ sans même quitter son village de Sandaucourt. Un acharnement qui a abouti à la remise de la médaille de la Résistance, le 13 juillet 2003, à Épinal, à Ibrahima et Hady Bah, deux neveux tout spécialement venus de Guinée.

Plusieurs ouvrages récents font mention d'Addi Bâ. Le dernier en date est le livre de Benoît Hopquin, Ces Noirs qui ont fait la France, paru chez Calmann-Lévy (je n'en ai pas encore pris connaissance). Par ailleurs, un article de presse annonçait récemment que l'écrivain guinéen Tierno Monénembo, prix Renaudot 2008, travaillerait actuellement sur un roman dont Addi Bâ serait le personnage principal. Enfin une porte durablement ouverte sur la postérité ?


(1) Propos recueillis par l'auteur. Le père de Berthe Laurent s'appelait Élysée Plyant, d'où le diminutif Lysée. En Lorraine, « Nonon » est l'équivalent de « Tonton ».
(2) GRANDVAL G. et COLLIN A. J., Libération de l'Est da France, Paris, Hachette-Littérature, collection La Libération de la France, 1974

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