Addi Bâ Mamadou
Photo prise en 1943 au maquis
de la Délivrance

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ADDI BÂ, LE RÉCIT D'UNE VIE

I. L'arrivée d'un jeune
Guinéen en France
>

II. Les tirailleurs errants
du canton de Lamarche >

III. La vie secrète
d'un paisible commis agricole
de Tolliancourt...>

IV. Addi Bâ au maquis >

V. Les difficiles sentiers
de la gloire... >


 



IV. Addi Bâ au maquis

Comment Addi Bâ participe à l'organisation du maquis de la Délivrance, destiné à accueillir les jeunes réfractaires au STO.

En mars 1942, le gauleiter Fritz Sauckel est chargé par Hitler d'organiser la déportation de travailleurs européens vers l'Allemagne pour fournir de la main d'œuvre à l'industrie nazie. Le Reich exige l'envoi de 350 000 travailleurs français. Le régime de Vichy tente d'abord de recourir au volontariat à grands coups de propagande puis finit par instaurer le Service de Travail Obligatoire (STO) le 16 février 1943. Le recrutement se fera désormais par classes d'âge. Les jeunes gens nés entre 1920 et 1922 sont ainsi contraints de partir travailler en Allemagne à titre de substitut de service militaire. La mesure est évidemment très mal perçue et de très nombreux jeunes gens choisissent d'entrer dans la clandestinité.

Courant 1942, Marcel Arburger qui se rend fréquemment à Nancy prend contact avec les responsables de ce qui deviendra le mouvement Ceux de la Résistance (CDLR). Sous le pseudonyme de Simon, il est chargé de structurer un réseau dans la région de Lamarche et associe Georges Froitier à cette mission. En octobre, les deux hommes sont convoqués par un certain Gauthier (1), responsable de CDLR. Ils doivent se retrouver en gare de Lamarche, dans le train Nancy-Langres. Ils descendent quelques stations plus loin, en gare de Merrey et vont s'attabler au buffet de la gare, où Arburger connaît bien la patronne. « C'est là, dans cette salle, que naquit l'idée du Camp de la Délivrance. "Le temps presse, nous dit Gauthier, le débarquement est prévu pour le mois de mai 1943. Il nous faut hâter l'organisation des réseaux existants, en créer de nouveaux, où c'est possible, agencer des camps de camouflage pour les réfractaires au STO." Et à ce propos, il demande à Simon s'il lui est possible d'en installer un dans les bois qui entourent Lamarche. Marcel, qui connaît bien la région pense tout de suite au Chêne des partisans. » (2)

C'est ainsi qu'est créé le maquis au printemps 1943. Arburger est chargé d'accueillir les jeunes et de les diriger vers le maquis. Addi Bâ est quant à lui choisi pour encadrer la vie quotidienne du maquis et surtout assurer le ravitaillement. Le camp de la Délivrance n'est pas un maquis de combat, comme on en verra fleurir à partir de 1944. C'est un camp refuge, en attente d'un hypothétique encadrement militaire et d'éventuels parachutages alliés. « Au début, quand on est arrivés, on descendait à la nuit tombante coucher sur le grenier à foin de la famille Henrion, à la ferme de Boëne. On descendait quand la nuit était tombée et on remontait le matin, avant le jour, parce qu’il y avait un poste d’observation allemand au Mont des Fourches, à Lamarche, d'où on pouvait nous voir. Puis on a construit des baraques », se souvient Hubert Mathieu (3).

Construire le camp, telles est la principale activité des jeunes maquisards. Il faut dire qu'en quelques semaines, ils sont plus de 150 à rejoindre le maquis, les arrivées se concentrant essentiellement sur le mois de juin 1943. Il s'avère rapidement indispensable de créer des « annexes », dans les forêts de Romain-aux-Bois et Soulaucourt. Étant donné le climat local, souvent pluvieux, il faut prévoir des abris, de huttes de rondins et de branchages dont la forme n'est pas sans évoquer les cases africaines. L'influence d'Addi Bâ ? La vie au camp est relativement monotone. On s'occupe comme on peut, on prépare la « popotte », on chahute parfois, comme en témoignent les rares photos qui nous sont parvenues. Il y a bien quelques armes, sans doute héritées de la Débâcle, mais l'encadrement est inexistant. Addi Bâ, lui, court par monts et par vaux, de camp en camp, d'un point de ravitaillement à l'autre. Au fil des mois, il a tissé ses réseaux dans toute la région. Farine, pain, pommes de terre, fromage, viande, il organise les filières à trente kilomètres à la ronde, voyageant de nuit, sur son éternel vélo.

En juillet, le maquis accueille une douzaine d'hôtes pour le moins inattendus : des Russes, déserteurs de l’armée Vlassov, formation militaire hostile au pouvoir soviétique et passée du côté des Nazis... Deux Allemands sont avec eux : selon certains témoignages, il s'agirait de déserteurs. Pour d'autres, ils auraient été fait prisonniers par les maquisards. Au sein du maquis, le débat fait rage : beaucoup veulent exécuter les deux Allemands. Mais apparemment, Addi Bâ rejette cette extrémité. Ils restent donc au maquis dans des conditions qui n'ont pas été élucidées. Le 11 juillet, ils disparaissent subitement. Par mesure de précaution, le maquis est immédiatement dissous. Les 150 jeunes réfractaires s'évanouissent dans la nature. La chronologie est imprécise, mais les choses vont vraisemblablement très vite. Le 15 juillet à l'aube, des troupes allemandes en grand nombre (un millier de soldats venus d'Épinal et de Belfort, affirme le colonel Rives) investissent le canton de Lamarche et prennent le maquis d'assaut. Il y trouvent seulement une demi-douzaine de retardataires. Mais aussi le petit arsenal constitué par les maquisards.

Addi Bâ, lui, est à Tollaincourt. Pour des raisons inexplicables, il ne s'est pas enfui. Les Allemands montent directement à sa maison pour l'arrêter. Selon les témoignages, la scène se joue en pleine nuit ou à l'aube du 15 juillet. Il tente de s'échapper en sautant par une fenêtre mais est rapidement fauché par les tirs allemands dans un verger voisin. « J’ai entendu des coups de feu, Trois coups, affirme Monique Aubert. Alors, je me suis levée en sursaut et j’ai dit à Papa : "Je viens d’entendre trois coups de fusil". Il m’a dit que j’avais rêvé et que je devais aller me recoucher. Mais c’est parce que j’étais gosse. Je l’ai entendu trafiquer, chercher son caleçon. Il s’est habillé et puis il est sorti. Quand ils ont attrapé Addi Bâ, ils l’ont mis dans la grange à chez Trouvin [en face sa maison]. Ils l’ont attaché là et il a réclamé à boire. Papa lui tendu un godet, un quart, et un Allemand tiré dans le godet qui a valsé. Il était deux heures du matin. Je me souviens bien, Papa a regardé l’heure quand il m’a dit d'aller me recoucher. » (4)

Blessé aux jambes, Addi Bâ est conduit à la prison de la Vierge, à Épinal, avec les quelques maquisards raflés. Quelques habitants, suspectés d'avoir aidé le maquis sont également arrêtés. La plupart seront relâchés. Mais le père de Paul Henrion, de la ferme de Boëne, sera par exemple incarcéré à Clairvaux jusqu'au mois d'avril 1944. Addi Bâ est torturé, mais il ne lâche rien. En tant que maire de Tollaincourt, Louis Dormois essaie de lui rendre visite, mais il ne parvient pas à le voir. Il charge Berhet Laurent, affectée entre temps dans les Hautes-Vosges, de refaire une tentative en septembre 1943. « On avait fait un petit colis. Je vais à la Vierge et je tombe sur quelqu’un de Saint-Laurent que je connaissais bien, un jeune gendarme. Il me dit : "Tu ne peux pas le voir, c’est impossible. De toute façon, il est à l’infirmerie. Tu ne le verras pas." Je lui ai confié mon colis – on avait fait une espèce de pain d’épice, il y avait des fruits, des bonbons, peut-être – et il m’a promis de le transmettre. Je n’ai jamais su s’il l’avait fait. » (5)

Durant ce même mois de septembre, Marcel Arbuger est pris à Dijon. Il rejoint son camarade à la prison d'Épinal. L'un et l'autre passent en jugement le 3 décembre devant la cour de justice de la Feldkommandantur 622. Addi Bâ, « nègre, employé aux écritures arabes » et Arburger sont condamnés à la peine de mort pour « acte de francs-tireurs ». Huit autres accusés sont condamnés pour leur part à des peines de prison. Certains d'entre eux seront déportés. Après le rejet du recours en grâce sans doute très formel adressé au Général Karl-Heinrich von Stülpnagel, commandant militaire de la Wehrmacht, les deux condamnés sont fusillés le 18 décembre 1943. (Lire la suite>)


(1) Gauthier est le pseudonyme du Professeur Mayoux, qui enseigne l'anglais à l'université de Nancy.
(2) Georges Froitier, Odyssée d'un couple de Résistants vosgiens (publié à compte d'auteur en 1987 - Dépôt légal n° 669/1/1987). Le débarquement évoqué par Gauthier n'a eu lieu qu'en 1944, en Provence, puis en Normandie. Le Chêne des Partisans est un lieu connu pour avoir accueilli des francs-tireurs pendant la guerre de 1870.

(3)(4)(5) Propos recueillis par l'auteur.

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