Addi Bâ Mamadou
Photo vraisemblablement
prise fin 1939- début 1940.

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ADDI BÂ, LE RÉCIT D'UNE VIE

I. L'arrivée d'un jeune
Guinéen en France
>

II. Les tirailleurs errants
du canton de Lamarche >

III. La vie secrète
d'un paisible commis agricole
de Tolliancourt...>

IV. Addi Bâ au maquis >

V. Les difficiles sentiers
de la gloire... >


 



II. Les tirailleurs errants
du canton de Lamarche

Comment Addi Bâ fausse compagnie aux Allemands
et rejoint le village de Tollaincourt après plusieurs semaines de fuite dans la forêt vosgienne.

Les conditions exactes de la courte captivité d'Addi Bâ et de son évasion demeurent incertaines. Selon la version la plus couramment avancée, il est fait prisonnier le 18 ou le 19 juin 1940 à Harréville-les-Chanteurs, puis conduit à Neufchâteau. Le soir-même, profitant de l'euphorie de ses gardiens, fêtant leur victoire (en passant par Reims et Épernay, ils se seraient copieusement ravitaillés en champagne...), il s'enfuit en compagnie d'autres tirailleurs et le petit groupe se réfugie dans la forêt de Saint-Ouen-lès-Parey, à une trentaine de kilomètres. Une autre version évoque une évasion pendant l'hiver, lors d'une corvée de déneigement, mais elle peu probable car les prisonniers du 12e RTS ne sont sans doute pas restés si longtemps à Neufchâteau. Un ancien du régiment, interviewé par l'universitaire américaine Nancy Lawler, affirme d'ailleurs qu'ils ont rapidement été dirigés vers Mirecourt.

Dans un témoignage écrit adressé en 1988 au colonel Rives, Mme Girardet-Perney, qui fut une amie très proche d'Addi Bâ, laisse entendre qu'il aurait été pris dans le Nord de la France puis convoyé vers Neufchâteau, ce qui n'est guère plausible. Ces différentes versions montrent à quel point il est difficile de reconstituer son parcours, entre les faits avérés, l'érosion des souvenirs et la légende. Tout au long de son histoire, on est ainsi confronté à toutes sortes d'hypothèses plus ou moins crédibles, qu'il est de moins en moins facile de recouper, faute de témoins. À cet égard, l'Internet ne nous aide guère car les erreurs s'en trouvent encore amplifiées au fil d'articles plus ou moins bien « copiés-collés ».

Nous sommes donc en pleine débâcle, la confusion la plus totale règne dans toute la France. La population est sur les routes, les Allemands conquérants prennent leurs quartiers dans les villages, l'armée française est en déroute. Du côté de Neufchâteau, Harréville, Bourmont, les forêts grouillent de tirailleurs en fuite. Les Allemands ne font pas de quartier avec les Africains qui les terrorisent depuis 1914 (voir La Honte noire de Jean-Yves Le Naour). Ils organisent même des « chasses aux nègres ». Dans le petit cimetière de Gendreville, les habitants fleurissent encore aujourd'hui la tombe d'un tirailleur abattu sans sommation au beau milieu du village. C'est dans ce contexte qu'Addi Bâ et ses camarades essaient de sauver leur peau, cachés dans les bois. Ils reçoivent l'aide de certains habitants.

Au cours de l'automne 1940, Addi Bâ se trouve à proximité du petit village de Sauville. À la recherche de nourriture, il interpelle deux habitants. « À l'orée du Bois de Chesnois, avec mon père, nous entendons un petit appel venant de derrière un buisson, raconte Jean Mallière, alors âgé de 13 ans. Deux tirailleurs sénégalais se cachent là : un petit, Addi Bâ, et un grand, Zana, que j'ai perdu de vue par la suite. »
La famille apporte son aide aux deux tirailleurs qui sont logés dans une maison forestière. Marie Pauline Mallière, la mère, a retrouvé son village natal quelques semaines plus tôt. Institutrice engagée, elle a choisi d'être affectée en Alsace, à Mulhouse, en 1919 pour y enseigner le français. L'annexion de l'Alsace par les troupe hitlériennes l'a contrainte à rejoindre sa région où elle est retrouve un poste d'institutrice de classe maternelle dans la commune toute proche de Saint-Ouen-lès-Parey. Elle connaît bien les gens de la région et notamment les commerçants. C'est elle qui s'occupe pendant un temps de ravitailler Addi Bâ dans la forêt. Par la suite, elle s'impliquera également dans la vie du maquis et sera arrêtée puis déportée pendant deux ans. « Mme Mallière était très discrète et son activité était très peu connue des habitants. Ma mère se rappelle quand elle la voyait partir avec son panier d'osier et un tricot qui camouflait le dessous, Elle ne partait pas vers le camp mais vers une ferme sur un chemin parallèle au chemin du camp », nous écrit Pierre Châtelet, alors habitant de Sauville.

Il est impossible d'établir une chronologie précise des événements durant la période trouble de la Débâcle. Addi Bâ et ses hommes - ils seraient une quarantaine - survivent probablement pendant plusieurs semaines dans les forêts autour des communes de Saint-Ouen, Sauville, Robécourt, Romain-aux-Bois, Tollaincourt, Lamarche. Par l'intermédiaire de Mme Mallière, Addi Bâ entre en contact avec Louis Dormois, maire de Tollaincourt. Cet ancien combattant de 1914-18, très respecté dans son village, le prend sous son aile et le présente à Marcel Arburger, qui sera l'un des fondateurs du maquis de la Délivrance.
Dans le même temps, un officier de la gendarmerie d'Épinal, le lieutenant Rocques, finit par être informé de la présence du petit groupe d'Africain. Par l'intermédiaire du gendarme Paul Joyeux, il invite la gendarmerie de Lamarche à fermer les yeux. Si la présence allemande s'amenuise peu à peu dans ce secteur très rural, l'existence de ce groupe de tirailleurs finit par inquiéter : non seulement, ces hommes sont en danger – certains sont blessés – mais ils peuvent de surcroît représenter un risque pour les populations qui les aident.

Il est donc décidé de les évacuer tout d'abord vers la Suisse. Selon Paul Joyeux, tous les Africains rejoindront ensuite la zone libre. L'évacuation est organisée « par une filière qui s'était constituée d'elle-même » (1). Paul Joyeux cite les nombreux passeurs vosgiens de la région de Remiremont qui ouvrirent « la route de la liberté » aux prisonniers de guerre évadés et aux tirailleurs, notamment Julien Méline, fusillé à Épinal en 1943 quelques mois avant Addi Bâ, et Raymond Bourion, arrêté et déporté en 1941.
Tandis que ses camarades quittent la région, Addi Bâ choisit de rester « pour continuer le combat ». « C'était un militaire, fier comme un Africain ! Pour lui, il n’y avait rien au-dessus de l’armée française. Il n'admettait pas la défaite », affirme Berthe Laurent (2), alors habitante de Tollaincourt. Louis Dormois, le maire du village, met à sa disposition une maison inhabitée, où il mènera désormais, aux yeux des Allemands, une paisible vie de commis agricole. «Commis agricole ?, s'exclame Berthe Laurent. Ah non ! Surtout pas ! Pas les travaux des champs ! Ce n'était pas son style. C’était un soldat. Il n’a jamais quitté son uniforme. Je ne sais pas comment il s’est débrouillé, mais je ne l’ai jamais vu en civil. » (Lire la suite>)

(1) Lettre au colonel Rives, 27 juillet 1988
(2) Propos recueillis par l'auteur

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