Le Terroriste noir
Tierno Monénembo
Editions du Seuil
À paraître fin août 2012

 

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Contresens

Après de très belles interviews sur France Inter ou sur Radio Ô, mon ami Tierno s'est fourvoyé sur RTL dans une émission de Bernard Lehut qui, n'ayant visiblement pas lu le roman, l'a entraîné sur le terrain glissant de l'Histoire...

Les interviews se suivent et ne se ressemblent pas toujours... Depuis un mois, je suis avec beaucoup d’attention les entretiens de mon ami Tierno Monénembo autour du Terroriste noir. J’apprécie son esprit nuancé, son humilité par rapport au sujet historique qu'il a abordé et son positionnement revendiqué de romancier. Mais aujourd’hui, j’ai eu la stupeur de découvrir une interview totalement aberrante sur RTL, menée par Bernard Lehut dans « Les Livres ont la parole ».

Dans cet entretien très accrocheur, mené au pas de charge, le journaliste, qui ne dit pas un mot du roman, contraint l’écrivain à s’improviser historien et le conduit à accumuler bien malgré lui contresens et contre-vérités…

Quelques précisions s'imposent...

En juin 1940, les officiers ont abandonné leurs tirailleurs et les ont laissé seuls aux mains des Allemands...

On connaît tous le terrible épisode de la Débâcle et les nombreux abandons de poste qui ont eu lieu à tous les niveaux alors que la défaite devenait une évidence. Mais s’il est unité où ce genre de dérobade ne se produisirent guère, c’est bien dans les régiments coloniaux qui furent les derniers à se battre, soldats comme officiers. Dans l’esprit très paternaliste de la France coloniale, les officiers se devaient d’être proches de leurs hommes et gagner leur respect. S’ils se montraient arrogants ou « tire-au-flanc », les tirailleurs ne se battaient pas. Je ne pense pas qu’on puisse trouver beaucoup d’officiers de la Coloniale qui ait abandonné leurs hommes. Le commandant Graff, chef du régiment d’Addi Bâ fut fait prisonnier le 20 juin 1940. L’un de ses propres tirailleurs, Pierre Va Messié, rapporte à l’historienne Nancy Lawler, qu’il fit le choix de se rendre avec ses hommes, qu’il défendit face à la brutalité des Allemands. Au point d’être à deux doigts d’être exécuté.

La population française a mal accueilli les tirailleurs...

Depuis 1914-18, les Tirailleurs étaient extrêmement populaire dans la population française. Certes, ils étaient perçus avec l’esprit de l’époque coloniale : gentil et vaillant tirailleur banabia. Mais dans les Vosges comme partout en France, ils furent accueillis, cachés, hébergés, nourris par une population qui avait vu en eux les derniers combattants. On ne peut nier qu’il y ait eu des dénonciations, que certains esprits malsains livrèrent des Africains aux Allemands. Mais de tout ce que j’ai pu lire, voir et entendre, il ressort que la population fit preuve d’une grande solidarité.

Des paysans à la chasse aux singes…

Tierno, mon ami, où êtes-vous allé chercher cette absurdité ? En juin 1940 et dans les semaines qui suivirent, les paysans étaient sur les routes ou faisaient profil bas, terrorisés qu’ils étaient par les Allemands ! La pire des choses à faire, à l'époque, était bien de se balader avec un fusil pour aller chasser les tirailleurs ! Que n’avez-vous évoqué le cas de ces deux Guinéens, recueillis par des habitants du petit village de Gendreville et finalement débusqués par les Allemands. Ils furent abattus en pleine rue, avec ordre donné à la population de laisser leurs corps sur place sans sépulture. La nuit même, le maire les faisaient inhumer dans le cimetière du village avec un panneau indiquant : « Abattus par les Allemands ». Bakary Diallo et Abdoulaye Bembo reposent toujours à Gendreville. Nous nous sommes recueillis ensemble sur leur tombe. S’il y a eu « chasse aux nègres », elle fut menée au lendemain des combats, les Allemands poursuivant des tirailleurs en fuite. Tout cela a été bien documenté par Jean-Yves Le Naour et Raffael Scheck.

C’est Addi Bâ qui imaginé le nom du camp de la Délivrance...

En 1870, les francs-tireurs français engagés contre les Prussiens créèrent un camp dans la forêt, près de Lamarche, dans les Vosges. Ils le baptisèrent Le Camp de la Délivrance. Soixante-treize ans plus tard, lorsque Marcel Arburger et l’instituteur Georges Froitier furent chargé par le chef du mouvement Ceux de la Résistance, à Nancy, de créer un maquis, ils eurent le souvenir de cet épisode et reprirent le nom du Camp de la Délivrance qui s’installa dans la même forêt. C’est Addi Bâ qui fut chargé d’organiser ce maquis… mais son nom était inscrit depuis longtemps dans l’histoire locale.

Le maquis de la Délivrance avait pour mission de cacher les réfractaires au STO, de faire passer des Juifs et des pilotes anglais en Suisse, des Alsaciens en zone libre, et de mener des actions de sabotage.

Le maquis de la Délivrance a accueilli 100 à 150 gamins de 18 et 19 ans réfractaires au STO, sans instruction militaire, sans arme et sans encadrement, hormis Addi Bâ et quelques volontaires, qui passaient plus de temps à chercher du ravitaillement qu’à en faire des combattants. Ils n’ont jamais vu l’ombre d’un Juif ou d’un aviateur anglais. Quand aux Alsaciens – qu’on appelait « Les Haguenau » dans le secteur, en référence à des habitants de cette ville qui s’étaient réfugié là en 1940 -, ils étaient depuis longtemps soit rentré chez eux, soit retranchés dans le Sud-Ouest de la France. En 1943, il n’y avait plus de réfugiés sur les routes depuis belle lurette ! Quant aux sabotages, il n’y en eut aucun autour du maquis de la Délivrance. Les premiers parachutages de matériel sur la région eurent lieu en septembre 1943, soit deux mois après la dissolution du camp.

Mon cher Tierno, vous avez fait entrer Addi Bâ en littérature, signé un magnifique roman qui témoigne de votre grand talent d’écrivain. À tous ceux qui vous ont interviewé jusqu’ici, vous avez fermement rappelé : « Je suis romancier, pas historien ». De grâce, ne vous laissez pas entraîner dans des interviews absurdes et vulgaires, qui nient toute réalité historique et portent atteinte à la mémoire de ceux qui ont vécu ces faits.

Etienne GUILLERMOND
30/09/2012

Lire la chronique Entrée en littérature du 27/07/2012>

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