16/06/2017
Retour sur le film Nos Patriotes

Ce mercredi est sorti sur les écrans le film Nos Patriotes, inspiré de la vie d’Addi Bâ et adapté du roman de Tierno Monénembo, Le Terroriste noir.

Voir la figure d’Addi Bâ rendue accessible au plus grand nombre grâce au cinéma est une excellente nouvelle. Il y a cinq ans à peine, le personnage n’avait jamais intéressé qu’une poignée de « passeurs de mémoire » dont j’ai eu le plaisir d’être le continuateur et la plume. Que de chemin parcouru depuis.

Aujourd’hui, la France entière découvre son histoire et tous les médias en parlent. Davantage que n’importe quel livre ou roman, ce film inscrira le personnage dans la mémoire collective et c’est tant mieux.

Mais quelle déception à l’issue de la projection.

Addi Bâ, un héros incarné

Porter l’histoire d’Addi Bâ à l’écran était une vraie responsabilité. Jusqu’ici, la figure du combattant africain engagé dans la guerre est toujours restée anonyme. L’histoire officielle a nié les individualités pour ne retenir que l’image d’une armée de fantassins chair à canon, victimes des événements.


À quelques très rares exceptions – je pense au capitaine N’Tchoréré –, Addi Bâ est la seule figure héroïque connue qui émerge de cette armée de fantômes. Au cinéma, même le film Indigènes, première grande étape cinématographique dans la reconnaissance des soldats coloniaux, célébrait un groupe de combattants et non un héros incarné.


Qu’on se rassure, ce n’est pas du comédien Marc Zinga que vient la déception. Cette responsabilité, il l’a pleinement mesurée et l’endosse avec talent. Il s’est approprié le personnage avec beaucoup de force, de densité et de sincérité. Son interprétation est empreinte d’une gravité qui ne restitue peut-être pas toute la bonhomie et le caractère très enjoué d’Addi Bâ. Mais elle est totalement à la hauteur de l’enjeu. Personnellement, il m’a vraiment ému et je le remercie du fond du cœur. Marc Zinga et son personnage constituent assurément la principale richesse du film.

Pas de déception non plus du côté des images : le film présente une très belle photographie, des décors, des reconstitutions historiques parfaites. Le réalisateur vient du documentaire et cela se voit. Il a le souci de l’image juste. Il a su trouver le regard, les ressources, le matériel, les costumes et la couleur spécifique pour nous plonger dans l’atmosphère des Vosges sous l’Occupation.

L'écueil du lieu commun

C’est sur le plan scénaristique que le film passe, selon moi, à côté de son sujet. Nos Patriotes, c’est l’histoire d’Addi Bâ, bien sûr. Mais on a voulu aussi en faire une histoire de la Résistance en racontant sa naissance, sa mise en place, son organisation et ses faits d’armes, jusqu’à l’attaque finale, l’arrestation, l’interrogatoire et l’exécution des protagonistes. Cela fait beaucoup.
Ce choix induit surtout une approche à la fois linéaire, didactique, attendue, parfois ennuyeuse, avec des scènes mille fois tournées. Depuis La Bataille du Rail (1946), L’Armée des Ombres (1969) ou, dans un tout autre registre, l’excellente et très complète série télévisée Le Village Français (2009-2016), les chuchotement sur les bancs d’église, les sueurs froides aux postes de contrôle et les explosions de ponts de chemin de fer relèvent du lieu commun.

Et tant pis si le combat du « Terroriste noir » fut clandestin et silencieux (il a été fusillé avant que ne commence la vrai confrontation armée de 1944 avec les Allemands). Le cinéma n’a, évidemment, pas pu résister à la tentation de faire fuser les balles et dérailler les trains. C’est de bonne guerre, si j’ose dire. À ceci près qu’il a fallu pour cela tout inventer ou presque.

Quelle communauté de destin ?

Au-delà des poncifs sur la Résistance, il y avait, à travers le destin du personnage, un sujet en or pour le cinéma : l’histoire d’une rencontre entre un Étranger optimiste, courageux et volontaire et des gens simples, totalement désorientés par la défaite. Tierno Monénembo ne s’y est pas trompé : c’est l’unique sujet de son roman.

L’histoire d’Addi Bâ, c’est celle d’un « Nègre » qui, dans ce tourbillon historique, devient, en quelques mois, l’ami, le fils, le grand frère, l’oncle, l’amant. Celui qui disparaît pendant des jours, des semaines sans qu’on sache ce qu’il fabrique et qui ramène un jour un aviateur anglais par la porte de derrière ; celui qu’on laisse faire mais pour qui on s’inquiète à tout instant et que l’on conjure d’être plus prudent ; celui qui n’a pas peur et qui fait la leçon aux familles hésitant à envoyer leur fils au maquis ; celui dont on apprendra, à la fin de la guerre, qu’il était en réalité le chef… Celui, enfin, dont les photos sont restées dans les albums de famille et parfois même encadrées dans les chambres à coucher.

C’est ce quotidien partagé, sur fond d’Occupation et de Résistance, cette communauté de destin avec les Vosgiens qui aurait mérité, selon moi, d’être le vrai sujet du film. Il y avait là toute l’humanité, toute l’émotion, tous les ressorts dramatiques nécessaires. Il n’est qu’à revoir le magnifique tête-à-tête, dans la cuisine, avec la vieille femme, pour s’en convaincre. J’y ai retrouvé la force émotionnelle, empreinte d’admiration et d’affection, qui m’a tant surpris au cours des nombreux entretiens réalisés pendant mon enquête. Cette approche aurait par ailleurs doté le film d’un véritable propos, là où il se contente d’être simplement narratif et descriptif.

La mémoire locale totalement ignorée

Dans l’ouest vosgien et en Haute-Marne – pour faire simple, entre Vittel et Chaumont –, là où s’étend le territoire d’Addi Bâ, on regrettera aussi le choix qui a été fait de couper l’histoire de son ancrage local.

Bien sûr, les contraintes d’organisation et de budget, ainsi que la recherche d’images parlantes pour le grand public, expliquent cette transplantation dans les lointaines et magnifiques Hautes-Vosges.

Mais oublions la géographie. Ce n’est pas une affaire de clocher. Je parle ici de mémoire locale, d’images, de scènes, de personnages emblématiques, inscrits aussi bien dans la légende que dans l’histoire.

Irait-on, pour les besoins d’un scénario, imaginer de mettre en scène l’interpellation de Jean Moulin ailleurs que dans la salle d’attente du Dr Dugoujon à Caluire ? Ou de figurer la mort de Missak Manouchian au cours d’une échauffourée avec la Gestapo plutôt que face à un peloton d’exécution au Mont-Valérien avec ses camarades de l’Affiche rouge ?

Chez nous, à Tollaincourt, comme dans les communes des environs, les images et le souvenir dramatique de l’arrestation d’Addi Bâ sont encore gravés dans les esprits : le village investi à l’aube par la Wehrmacht, la maison d’Addi Bâ encerclée, une tentative de fuite par une fenêtre, une course effrénée dans un verger, des coups de feu (là, il y en a eu…) – Puis, Addi Bâ, blessé de trois balles, porté comme un trophée par les Allemands sous les yeux effarés des habitants…

Pourquoi nous a-t-on volé cette scène ? Quelle finesse scénaristique exigeait donc ce sacrifice ?

Et pourquoi avoir transformé l’attaque du maquis de la Délivrance en massacre alors que tout le sel de l’épisode repose précisément sur le fait que les Allemands n’y trouvèrent pas âme qui vive, le 14 juillet 1943, puisque le camp avait été évacué la veille ?

Il est très regrettable que « pour les besoins du scénario », on n’ait pas eu le souci d’épargner – parmi d’autres détails –, ces éléments si symboliques et si précieux pour ceux qui les ont vécus et ceux qui les ont reçus en héritage.

Petit ajout au générique

Puisque le générique du film ne le fait pas, rendons aussi hommage ici à deux autres figures clés de cette épopée résistante, qui ont très librement inspiré les personnages interprétés par Alexandra Lamy et Pierre Deladonchamps :

L’institutrice Pauline Mallière (1893-1976), qui a accompagné le combat clandestin d’Addi Bâ de 1940 à 1943 ; elle fût arrêtée le même jour que lui, déportée en camp de travail et rentra très éprouvée en 1945.

Marcel Arburger (1904-1943), plombier-zingueur, chef des pompiers de Lamarche, qui fut le fondateur de la Résistance dans ce secteur de l’Ouest vosgien ainsi que le chef direct d’Addi Bâ. Il fut exécuté avec lui le 18 décembre 1943. E.G

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